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la librairie ...
« Je préfère que vous la gardiez... » Avait elle dit ...
Je retrouve ma liberté. Enfin...Je crois la retrouver. Je vais rester quelques petites semaines chez mon père, pas davantage. Sans doute était il trop tard pour que je m’adapte à son foyer. D’abord, il avoue avoir honte de mes vêtements et refuse de sortir avec moi habillée comme je le suis. Me voici donc affublée d’une veste en « daim » et de mocassins empruntés à la garde robe de sa femme. Le tout est raisonnable, n’ attirera pas l’attention. Pourtant je me sens déguisée. Le look petite dame d’un certain âge, je ne m’y reconnais pas et ça en rajoute dans ma difficulté d’être. Allez, on s’accroche. Les médicaments prescrits par le psychiatre finissent à la poubelle. Ils sont inutiles juge ma belle-mère. Et peut être a-t-elle raison. En sa compagnie, j’use mon ennui devant l’émission « Aujourd’hui Madame » jusqu’à ce que l’arrivée de leur petite fille me déloge de la chambre que j’occupe, refuge peu investi certes mais refuge quand même. Atterrissage improvisé chez ma grand-mère où je ne reste que le temps de m’enfuir par dessus la grille que son mari refuse d’ouvrir. Portail fermé à clef, case prison dès le premier soir. Et retour à la case départ chez ma mère dès le second soir.
Le lieu du crime n’a presque pas changé. Seule ma chambre a subi un nettoyage par le vide. Disparues mes lectures, envolée ma pile de revues Actuel, aux oubliettes
Krishnamurti, Freud, le Bouddhisme, Marx et les Upanishad... Mes écrits aussi. La police est venue perquisitionner. Que cherchait elle ? De la drogue évidemment. La drogue fantasmée par les honnêtes gens à qui elle aurait conseillé de jeter toute cette littérature subversive. Ce n’est pas beau une chambre sans livres.
Le boulot m’attend. Ma mère s’est activée dans le relationnel, pas de temps mort. Je range, j’époussette les magazines sous la vigilance du patron assis sur le seuil de son appartement privé qui jouxte la boutique, homme épuisé bientôt mourant du cancer qui le ronge mais apte à surveiller la délinquante ou la droguée. Je ne sais pas ce qui leur fut conté. Les regards pèsent. Ceux des patrons, ceux des clients, ceux des anciens du collège qui ont poursuivi leurs études et viennent acheter leur hebdo. J’accompagne la patronne chez Hachette à Paris, j’y trouve Le loup des steppes de Hermann Hesse que je me réjouis de lire bientôt, il est là au milieu d’autres bouquins dans les cartons entourés de ficelle que nous tirons à travers les avenues parisiennes jusqu’au bus. Je l’imagine enserré par ses semblables, pages compressées, se fondant les unes aux autres, chapitres qui s’échangent d’un livre à l’autre, lettres folles qui dansent, s’évadent… Le loup des steppes m’appelle et mon énergie redouble sur les pavés parisiens... A la fin du mois, la commerçante signifie à ma mère qu’elle ne me reprendra pas. Sans doute mon intérêt pour les livres et revues était il trop manifeste et aurait elle préféré que ce fut pour le plumeau. Ca tombe bien, je n’avais pas l’intention de rester. Au revoir Madame.