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La justice ...
L’été approche, il est prévu que je parte dans les Landes. Bientôt. Non, je n’ai pas oublié les gendarmes. Eux non plus ne m’ont pas oubliée. Une plainte a-t-elle été déposée? Par qui et contre qui? Il y est question de drogue. Dans les faits, il est surtout question de faire croire à chacun que le responsable de mon suicide est la drogue. Je n’ai rien dit de la violence de ma mère. A personne. Alors elle a dit pour moi. Et soudain tout s’éclaire, les regards suspicieux, les jugements brefs, l’isolement. La rumeur a circulé obstinément au sein du réseau familial et amical, au sein du voisinage voire de la cité. Les braves gens ont trouvé leur bouc émissaire. Le costard que ma mère m’a taillé est maous costaud, ce n’est pas du Fast Fashion, non, c’est du cousu main, solide et durable. Je n’imagine pas encore à quel point c’est du durable. Moi, bête à manger du foin, je n’ai pas pigé ce qui se tramait là. Pendant des années, j’ai nié l’évidence de la mystification dont ma mère était l’instigatrice. Fi des paroles et gestes violents commis à mon encontre, pour tous la responsable de mon suicide était la drogue. Certes, du silence énorme qui m’entourait je m’étonnais, sans appréhender vraiment que tout m’était reproche : leurs regards soupçonneux et vindicatifs, leurs conciliabules mauvais. J’étais diablesse à mater au plus vite. C’est ainsi que je me retrouve devant le juge qui me questionne pendant que le greffier tape à deux doigts sur sa Remington avec, à ma droite, Maurice accompagné de son avocat. Je ne relate que le factuel incarné dans deux pétards. Dans une démonstration élémentaire et forcément succincte puisqu’il n’y a rien à révéler d’autre que ces deux pétards, j’expose que Maurice n’est pas le baron d’un cartel mafieux qui aurait dévoyé l’adolescente vulnérable et influençable qu’ils me supposent être... Mais l’avocat en rajoute. Le voici qui me dézingue et rappelle dans un effet de manche qu’outre être immature, idiote presque, arriérée qui sait, je suis de toute évidence déséquilibrée car, « n’oublions pas, cette jeune fille était jusqu’à très récemment pensionnaire d’un service de psychiatrie. » Il m’enfonce en défendant son client et je reste sidérée devant la violence de la charge. Blessée au plus profond, je suis brutalement rattrapée par la nullité qui me constitue parfois au gré d’évènements, submergée par un brouillard ardent et visqueux qui annihile ma raison au profit du sentiment abyssal de ma perte. Il a raison, je ne suis qu’une merde. Cette violence cessera-t-elle un jour ? Et moi qui n’entrave rien au film, je comprends que Maurice est en mauvaise situation par ma faute. Je l’imagine croupissant au fond d’une geôle et personne ne viendra me rassurer là dessus. Il semble qu’ignorer la suite de cette affaire dont je suis pourtant une des principales actrices soit une expiation nécessaire à ma faute. Le silence s’impose. Je ne saurai que trente années plus tard, au détour d’une conversation qu’il n’a pas fait de prison. Mais ce printemps est sombre, la voiture qui me ramène, grosse bagnole d’un oncle sollicité par ma mère pue le plastique neuf, ma mère et lui silencieux à l’avant. Leur silence m’étouffe, les murs Versaillais défilent, gris mouillés de suie, comme le juge, lui aussi gris mouillé de suie, ainsi que le greffier, et l’avocat et mon copain. Mon coeur rapetisse dans cette gangue de saleté, le paysage n’est plus que jets de fusain derrière la pluie qui mouille subrepticement mais obstinément le pare brise, tout est sale, je ne sais où porter mon regard. Personne ne me parle, personne ne me demande comment je vais, je crois que personne ne me voit plus, reléguée.