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Les Landes ...
Je pars donc dans les Landes, à Cazaux, proche du Bassin d’Arcachon.
René et Robert se sont rencontrés en captivité en Allemagne et leur amitié a perduré à leur retour en France; René, mon grand-père, coiffeur au Pyla et Robert paysan à Cazaux, père d’une famille généreuse qui accueillera ma famille chaque été. Robert décédera d’avoir trop bu. René vivra, tentant d’oublier lui aussi ses cinq années de captivité derrière le comptoir de chaque bistrot où il laissera un peu de rage sans toutefois parvenir à oublier le temps perdu, sa famille perdue et son corps fatigué, perdus là bas dans ce pays d’Europe où se parlait une langue dont il ne supportera plus d’entendre la sonorité. C’est dans la famille de Robert que je suis attendue, cette famille que je connais depuis ma petite enfance m’accueille brièvement avec la grande générosité qui lui est naturelle. Mes pas martèlent les routes désertées des Landes où sommeillent des vipères enroulées sur l’asphale brûlant. Je fais du stop. Rarement une voiture passe. S’arrête. Je suis à peine consciente du danger. Ma jeunesse m’a évité des problèmes. Je découvre un village artisanal, attraction touristique pseudo médiévale où je trouve l’hébergement dans la piaule d’un aimable barbu ainsi que du travail dans un stand de maroquinerie. Là, deux éducateurs déguisés en nobliaux divertissent leurs congés d’été en revendant de la maroquinerie qu’ils prétendent fabriquer. Quelques outils déposés là et l’emblème des compagnons sont là pour faire illusion. Je m’initie aux premiers gestes, j’apprivoise le cuir. Les vacanciers apprécient le folklore incarné dans les décors, costumes et balades de trouvères. Je me restaure avec les artisans, vrais et faux, à la table collective de la taverne tenue par les propriétaires du village.
L’été avançait quand, depuis le stand où je travaillais j’aperçus la DS se garer sur le grand parking extérieur. Ma mère et son mari arrivaient. Comme une hirondelle ivre, je courus, les ailes de mon poncho au vent, je volai vers ma mère, traversai l’espace qui nous séparait dans un sprint affolant, effarant pour qui aurait connu l’histoire, je courus me jeter dans ses bras. Dans les bras de ma mère. Oui, j’ai bien dit que je courus comme une dingue me jeter dans les bras de ma mère. Allez comprendre ...
L’été est derrière, , le village de carton pâte a fermé ses portes, la musique ancienne s’est tue. Lors du rituel des adieux, les propriétaires du village me remettent la facture de mes repas. J’avais oublié que tout se paye. Et je n’ai pas un rond. Paniquée, je sollicite l’homme chez qui j’ai travaillé tout l’été. Nous nous étions frôlés, observés, séduits. Amoureuse, j’entendais chaque nuit ses ébats derrière la cloison indécente qui séparait nos deux chambres pendant que lui entendait les miens avec le gentil barbu. C’est lui qui régla ma note de cantine et nous partîmes chacun de notre côté.