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L’été à Juan Les Pins ...
A Poissy, j’avais fait la connaissance d'un garçon très doux, gars blond sensuel et peu bavard dont je guettais l’arrivée des courriers, chaque jour des vacances de l’été suivant à Juan Les pins. Et l'histoire enfouie jusque là se réveille. Ca démarre doucement. L'équation est simple. Quand je suis avec un garçon que ma mère agrée, tout va bien. Elle le reçoit, blague, se fait charmante. Quand ce n'est plus le cas, et bien que ne connaissant pas celui qu'elle va honnir, Rien ne va plus, j’ai quitté mon premier amoureux, ce bel italien que ma mère admire. Elle m'agresse. Mon beau-père m’agresse, mon frère m’agresse. Tous s’y mettent. C'est ainsi que se met en place, de façon tout à fait insidieuse, une mise en scène familiale dans laquelle chacun jouera un rôle précis et complémentaire des autres, rôle satisfaisant sans doute leur désir tordu et les gratifiant d'un plaisir qui va s'exprimer dans une pièce où je tiens le rôle de bouc émissaire. Cet été là, mon dos rencontre donc chaque marche de l'escalier de la location de vacances, la poigne du beau-père enserrant mes cheveux longs et me faisant ainsi descendre l’étage. Ma mémoire a enregistré les lieux, l’arête des marches tout autant que la sensation subtile de la jouissance qu'il s'offre alors. Il me faudra longtemps pour comprendre ce qui se jouait là et longtemps pour appréhender un peu de ses causes.
Les vacances ont une fin, il faut rentrer. A l'arrière de la DS noire, Tommy est à mon côté. Tommy, cocker roux et compagnon familial depuis quelques mois. Je suis la seule que ce chien n'attaque pas. Les vacances ont elles rendu ce gentil chien complètement fou ? Il a tenté de mordre la sainte famille : beau-père, mère, frère. Je suis la seule qu'il n'ait pas attaqué et qui peut l'approcher. Le vétérinaire a évoqué la consanguinité des chiens de race qui les rendraient agressifs et le petit fauve assommé de somnifère passe le voyage le museau sur mes genoux, il ne sait pas que son destin est scellé. Il part au bout de sa laisse avec ma mère pour une visite chez le vétos dont je sais qu’il ne reviendra pas. Elle était comme ça. Sans doute a-t-elle pleuré beaucoup...Mais de pitié ? Non. De compassion ? Surtout pas. Il y avait chez elle une sorte de complaisance et d'attirance pour la mort. Ainsi, enfants, nous avions trouvé des salamandres dans un étang et l’idée surgit – de qui ? - de les apporter à l’école. Ma mère les introduisit dans un bocal de formol. Je vois l'animal se tordre et mourir. A cause de moi. Par elle. J'en suis doublement honteuse : choquée que ma Maman ait pu provoquer la mort de l'animal et coupable de lui reprocher un acte commis pour ses enfants. Des décennies passées, l’animal se tord encore et j’en suis là de ma réflexion quand la sonnerie du téléphone me fait sursauter. C'est elle. Bouleversée, à huit cent kilomètres de moi, sous le choc elle a composé mon numéro. Elle sanglote, hoquette, hurle et toujours sanglotant parvient enfin à articuler : "Pépette" est morte, elle est morte dans mes bras". Son cochon d'Inde. Encore une fois je me sens coupable de ne pas compatir autant que l'intensité de son chagrin le voudrait. J'ai envie de la consoler en même temps qu'une voix me susurre cyniquement qu'elle achètera un nouveau cochon d'inde avant trois jours. Ce qu'elle fait. Pourtant son chagrin est réel. Fugace et violent comme une bourrasque. Ca dépasse mon entendement et ce mur d'incompréhension les font me juger dure et insensible. Je l'ai tant entendu, enfant, que j'en rajoutais dans cette apparente froideur. Leurs débordements m'agaçaient. Toute cette sensiblerie. Et du vide, du bruit, du creux. Pas de traces en eux des évènements, pas de cicatrices. Les choses viennent et disparaissent. Les sentiments se succèdent. Amour puis détestation, l'ange d'un jour sera démon demain. Des jugements rapides et définitifs. Ainsi sont ils, ma mère et mon frère. Tous deux semblables. Fusionnels, pathétiquement passionnels, attachés à leur folie respective et l'entretenant. Et pourtant, là au téléphone, entendant ma mère pleurer son cochon d'inde à chaudes larmes, je suis bouleversée. Mais qui ne le serait pas ? Les larmes des parents bouleversent les enfants, témoignent du désordre dans les générations, qui doit consoler ?