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L’apothéose avant le suicide

L’été est loin, je ne suis plus apprentie photographe. J'ai laissé les boutiquiers photographes derrière moi. J'aurais pu supporter les journées à rallonges et le sandwich sur un banc en hiver mais pas leur mépris. Je suis désormais au service des « cordiaux » assureurs. Retour donc à Paris où quand les dossiers d'assurés ne voltigent pas autour de moi rue de la Victoire, j'attrape un métro au vol, dévale les escalators, je traine Passage Jouffroy, ses bouquinistes, le vendeur de tarots divinatoires, les bijoux indiens à deux balles, le musée Grévin, plus loin le snack maghrébin avec sa glace au sabayon . Rue de Provence je rends visite à la petite boutique de Monsieur Houppé, photographe créateur du magnifique agrandisseur en palissandre Impérator. Le week-end ce sont les Puces de Saint Ouen qui m’accueillent. Et puis les cours de photo. Je vis. Mais, alors que l'hiver s'étire, l'ambiance familiale s'échauffe, jusqu'au printemps qui verra leur folie exploser. Et ensemble, sous l'égide maligne de ma mère qui, de sa tribune, va bientôt abaisser son pouce vers le sol, ils se préparent. Ca chauffe vous dis-je.

J'ai peur. De plus en plus souvent et de plus en plus intensément. Mon avenir est mort, je suis promise à l'enfermement, je prends des coups et j'entends les mots qui me convainquent de ma nullité. « T’es qu’une merde ma pauvre fille » m’a -t-elle répété. On est à un pas de l'inutilité, les mots résonnent pareillement.

La violence devient omniprésente, physique et morale. Je n’ai plus aucune liberté. Contrainte d’accompagner ma mère à la graineterie, je passe les samedis dans l’arrière boutique, appartement bourgeois sombre à l’image des heures que j’y passe, égrénées par l’horloge comtoise qui, robotique, valide sans pitié l’atmosphère mortifère en insistant sur les quart et les demies heures du jour qui s’écoule. Sans moi. Je suis à côté et pourtant dedans. Déjà presque morte. La vie s’enfuit. Des relations rendent visitent à ma mère. Elle leur offre le café. Les regards me soupèsent avec méfiance. Je suis le vilain objet. Quel crime ai-je donc commis ?

Aussi dans le silence de ma nuit j'organise des fuites, des fugues utopiques, j'imagine des lieux, des rencontres, de nouveaux départs tout en n'étant pas dupe des dangers possibles. Et toujours je reviens à cette évidence : " Ils vont me retrouver...Elle va m'enfermer". Les issues se referment, l'espoir ne signifie plus rien. Au dessus de mon lit j'ai punaisé la photo d'un soldat mort. Dans ses orbites grouillent des vers. J'ai décidé de me tuer.