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Le suicide, passage à l’acte...

Je me suicidai le 22 Avril 1972, un samedi matin à 11 heures et des poussières. Ma mère qui travaillait ce jour là, devait rentrer tard. Seule dans l'appartement j'accèderais aux somnifères : dans le placard au fond du couloir, dans la petite armoire métallique jaune. Les somnifères de ma mère, qui en prenait ponctuellement et le disait. J'avais préparé le passage à l'acte, c'était l'objet de mes cogitations nocturnes, m'étonnant moi même de n'être pas actrice d'un acte impulsif comme on se complait souvent à penser le suicide. Geste de folie disait-on mais aussi lâche, je l'ai entendu souvent. Désespérée certes je l'étais. Je n’entrevoyais plus aucune issue. J’avais seize ans et ma vie n’était que cauchemar. Je décidai d’arrêter.

Assise dans la cuisine, j’ai vidé le tube de somnifère sur la table en formica pour les compter. Dix neuf. Ca devait suffire. Quelques verres d'eau m'ont permis d' avaler les comprimés, calmement, avec détermination. Quand le dernier eut disparu, j’allai m'allonger sur mon lit après avoir déposé sur la table de nuit un papier avec ces mots : " Ma vie est un grand zéro". Curieuse des derniers instants conscients, je souhaitais sentir la glissade vers le sommeil. Il n’y eut pas de glissade. Le sommeil vint brutalement.

Le matin même j'étais allée chez le médecin et, ultime appel à l'aide, dernier espoir aussi sans doute, je lui avais dit ce que j'allais faire. "Mais non, mais non... Ca va s'arranger " avait il soupiré, un peu ennuyé. Ce samedi là, ma mère est rentrée plus tôt que d’habitude. Intuition ? C'est ce qu'elle dira. Elle m’a trouvée sur le lit, bleue, un joli bleu qui réclamait l’urgence et les sirènes jusqu’à l’hôpital. Bras...Escaliers dévalés ...Véhicule ...Sirène puis violence encore, des éclairs de conscience, des éclats de blouses blanches, des cris, des gifles, tout s'agite, bousculée encore, tuyau qui m' arrache la trachée. ils ne voulaient pas que je dorme et moi je ne voulais que ça. Dormir. J'ai dormi vingt quatre heures sans interruption.

Ma mère est retournée travailler dans l'après midi. Mon beau-père et elle ont ouvert la boutique. Comme d'habitude.